Chapitre 2 : L'accident
Mon cœur
s'emballa immédiatement. C'était forcément en rapport avec Ulym, il n'était pas
rentré !
"Que…
que... qu'y a-t-il ??? bredouillais-je péniblement.
-Madame
Genallu, je vous appelle des urgences du CHU."
Un
silence. Mon dieu, pourquoi ne parle-t-elle pas ? Mille pensées se bousculaient
dans ma tête, toutes plus horribles les unes que les autres. La femme reprit :
"Il
y a environ deux heures, nos services ont été appelés pour un accident s'étant
produit près d'un commerce ouvert toute la nuit dans le centre-ville. Nous
avons ramené la personne aux urgences pour la soigner, il s'avère qu'il
s'appelle Ulym Genallu. Est-ce votre époux ?"
A la
mention d'un accident, des larmes avaient commencé à couler et un nœud se
serrait violemment dans mon ventre. Dans un souffle entrecoupé de sanglots, je
répondis :
"Oui,
c'est mon mari, dites-moi ce qu'il a, dites-moi… s'il est encore en vie !!
-Madame,
je sais que c'est dur, mais essayez de vous calmer. Les médecins n'ont pas fini
de s'occuper de lui, et tout ce que je peux vous dire par téléphone, c'est
qu'il est en vie, et que le pronostic vital est favorable…
-Très
bien, la coupai-je, reniflant, j'arrive de suite.
-Madame,
madame, prenez-le temps de vous ressaisir, n'allez pas vous blesser…"
La suite
se perdit dans le vide, j'avais déjà lâché le téléphone.
Pas un instant à perdre, mon esprit ne cessait de projeter des visons d'Ulym,
le corps ensanglanté, allongé sur d'affreuses tables en inox. Je n'ai pas
vraiment réfléchi, sur le coup, une seule chose m'importait, c'était de le
rejoindre. Cependant, je ne pouvais laisser les enfants. J'ai donc foncé au
premier les tirer du lit en catastrophe. Inutile de dire que les filles ont été
passablement affolées, et moi peu compréhensive. Une seule chose comptait :
rejoindre l'hôpital.
Galvanisées
par mes ordres secs et bref – et probablement par mes larmes qui coulaient, maintenant que j'y
pense – les filles retournèrent dans les habits qu'elles avaient quitté, quoi ?
Quelques heures plus tôt, quand notre vie était encore heureuse et ordonnée.
J'en profitais pour habiller Luke à la va-vite, prenant en fait à peine le
temps de le réveiller.
Grâce à
cet empressement, nous sommes arrivés à l'hôpital un peu plus d'une demi-heure
après le coup de fil. Grâce au ciel, devrais-je aussi dire, car j'ai roulé,
d'une part très – trop – vite, d'autre part j'étais dans un état second,
tentant d'écarter mes visions d'horreurs pour me concentrer sur la route.
Il était
donc presque deux heures du matin quand nous avons poussé la porte des
urgences. En entrant, un frisson parcourut ma colonne vertébrale, et le nœud
dans mon ventre se resserra un peu.
"Calme-toi,
pensai-je, fais le pour les enfants. La dame a dit pronostic vital
favorable"
Pff,
comme si ces mots tellement… tellement… froids et impersonnels pouvaient
décrire mon Ulym, ma joie de vivre, mon amour !!
N'arrivant
pas à me ressaisir, je m'avançais vers l'accueil, les larmes inondant toujours
mon visage.
Deux
femmes s'occupaient de l'accueil, une qui paraissait débuter sa carrière,
l'autre plus âgée.
"Je
suis Ymaëlle Genallu, vous m'avez appelé au sujet de mon mari. Où en est-il
?"
Fi des
protocoles. Je ne vais certainement pas m'en embarrasser, il faut que je sache,
il faut que je le voie !
"Madame
Genallu ?! C'est moi que vous avez eu au téléphone tout à l'heure"
C'était
la jeune fille.
"Vous
m'avez fait tellement peur tout à l'heure, j'ai crains que vous n'ayez un
accident !
-Mon
mari… " Ma voix mourut sur ces mots, je ne voulais pas discuter, je
voulais qu'elle me dise !
"Heu,
oui, et bien écoutez, je n'ai pas grand-chose à vous dire de plus, le médecin
l'opère toujours.
-Comment
ça on l'opère ? Mais dites moi, enfin ! Dites moi, où est-il blessé, est-ce
grave, je ne sais pas moi, dites moi quelque chose !!"
Ma fureur
débordait. J'avais envie de prendre cette fille par les épaules et de la
secouer ! Comment ça, rien de plus à me dire ? C'est ce qu'on va voir !
Les deux
femmes échangèrent un regard. La plus âgée prit la parole :
"Madame,
nous comprenons votre désarroi, je peux peut-être discuter de ça avec vous,
mais, regardez la salle d'attente derrière vous, je crois qu'il est préférable
d'éloigner les jeunes oreilles…"
Ciel !
Cette femme avait raison ! Quoi qu'elle ait à m'annoncer, je me devais de
protéger les enfants, il s'agissait de leur père.
Tenant
toujours Luke, je me dirigeais donc vers les fauteuils de la salle d'attente.
Je posais Luke et m'agenouillai au niveau des filles.
"Maïa,
Lou, vous êtes de grandes filles, vous voulez bien garder Luke pour maman
quelques instant? Je ne serai pas loin, mais je dois parler aux dames."
Deux
grandes paires d'yeux bleus effrayés se levèrent vers moi. Maïa, toujours la plus entreprenante, prit la parole :
"Maman,
papa ne va pas bien ?"
Les
larmes que je voyais grossir dans ses yeux tandis qu'elle me posait cette
question ne m'aidèrent guère à contenir les miennes qui roulaient toujours sur
mes joues.
-Ecoutez,
mes petites puces, je ne sais pas comment va papa, ce sont les dames là-bas qui
vont me le dire. Papa a eu un accident et si je veux avoir de ces nouvelles,
restez ici avec Luke, s'il vous plait."
C'est moche.
C'est presque du chantage. Mais tous ces obstacles entre la vérité et moi me
font faire n'importe quoi. Cependant, les filles baissèrent la tête. Maïa,
d'une voix chevrotante, me dit d'y aller, que sa sœur et elle garderaient Luke.
Vivement,
je me relevais et filais vers l'accueil. J'étais sûre d'avoir vu l'éclat d'une
larme sur la joue de ma fille, mais je n'ai pas pris le temps de la consoler.
Je sentais qu'on aurait tout le temps plus tard.
"Madame,
s'il vous plait, pouvez-vous me dire ce qui est arrivé à mon mari ??
-Je vais
vous dire tout ce que je sais : nous avons eu un appel provenant d'une
superette…
-NON ! Sa
santé ! Dîtes-moi ce que je dois savoir !!" la coupai-je brusquement.
La
personne ne parut pas s'offusquer de ma brusquerie. Elle reprit son récit :
"Il
semble qu'il ait été renversé par une voiture qui roulait trop vite. Lorsqu'il
est arrivé, les médecins l'ont immédiatement pris en charge, et les infirmières
du bloc opératoire nous ont fait passer son portefeuille pour qu'on vous appelle.
Elles nous ont dit très peu de choses, seulement qu'il n'était pas mortellement
blessé, et que donc, les médecins avaient bon espoir"
Ouf. Le
soulagement qui m'inonda fit flageoler mes jambes et je dus me retenir au
comptoir pour ne pas tomber.
"Je…
heu… Excusez-moi, d'avoir été si vive… J'étais, heu… folle d'inquiétude, je
crois".
L"infirmière
la plus âgée me regarda avec un sourire chaleureux et me rassura :
"Vous
savez, nous avons l'habitude. Il est difficile d'annoncer ces choses là dans le
calme. Si vous voulez, je peux monter au bloc pour voir s'il y a de nouvelles
informations.
-Je vous
en serai extrêmement reconnaissante, oui.
-
Maintenant, si je peux me permettre un conseil, vous avez là 3 jeunes enfants
qui devraient dormir à l'heure qu'il est.
-Heu...
oui, je n'ai pas trop su… heu, j'ai préféré les prendre…
-Vous
avez bien fait. Mais étant donné que la garderie de l'hôpital est fermée la
nuit, n'y a-t-il personne que vous puissiez joindre pour les garder ?
-A cette
heure ? heu, je ne sais pas…
-Les
grands-parents, peut-être ?"
Diable,
ma cervelle refusait de tourner correctement ! Pourquoi n'y avais-je pas pensé
! Bien sûr, que je pouvais appeler mes parents !
"Oui,
vous avez raison, j'appelle tout de suite ma mère."
J'appelai
donc maman dans la minute. Comme on peut l'imaginer, à 2 heures du matin passé,
ça n'a pas été sans mal que je lui ai expliqué la situation. Mais, par chance,
elle a réagi vite et, habitant à proximité du CHU, elle est arrivée peu de temps après.
"Ymaëlle,
ma chérie, qu'est-ce qui se passe, je n'ai pas tout compris au téléphone
!"
En voyant
les larmes qui s'étaient remises à couler sur mon visage, elle s'approcha et
tendit les bras pour m'enlacer.
J'essuyai
mes larmes d'un revers de main et ébauchai un piètre sourire :
"C'est
Ulym, maman, il a été renversé par une voiture
- OH
!!"
Maman
ouvrit de grands yeux et plaqua une main sur sa bouche
"Mon
Dieu, est-il… ?
-Il est
en train d'être opéré. Les médecins ont dit qu'il devrait s'en sortir"
En
répétant ces phrases ô combien réconfortant, je lus le soulagement sur le
visage de ma mère. Soulagement qui n'avait rien à voir avec celui que je
ressentais encore ! J'avais tellement eu peur !
"En
fait, repris-je, j'aurai besoin que tu ramènes les enfants chez toi
-Oh ! Les
enfants, je ne les avais pas vu. Tu les as amené ici ?? A cette heure ??
-Oui,
maman, tu sais, quand l'hôpital m'a appelé, je n'ai pas beaucoup réfléchi…
-Oui, je
comprends, bien sûr. Et bien écoute, que veux-tu ? Je les ramène tout de suite
et je reviens ?
-Non non,
attends, je t'ai déjà fait lever au milieu de la nuit. Rentrez tous, remets-les
au lit, moi je vais rester ici jusqu'à… heu, en fait, je ne sais pas. Peut-être
jusqu'à ce que j'ai un peu plus de nouvelles.
-D'accord,
très bien, je les emmène, effectivement, ils ont l'air fatigués les pauvres
choux. Appelle-moi demain matin, tu veux, pour me donner des nouvelles
-D'accord
maman, pas de souci
-Très
bien. Bon, et bien les enfants, vous venez avec Mamie ?"
Après
avoir rassemblé la petite troupe, ma mère parti installer Luke dans son siège
auto. Maïa en profita pour se glisser près de moi et me serrer très fort. Je
m'accroupis et lui rendis son étreinte. Qu'il était bon de serrer ma fille dans
ses bras en ce moment !
"Maman,
me chuchota-t-elle à l'oreille, Papa va guérir, hein ?"
Je la
regardai dans les yeux et lui souris. Enfin un vrai sourire !
-Ma puce,
les infirmières m'ont dit que ton papa est malade pour l'instant. Les docteurs
vont le soigner, et ils m'ont dit qu'il irait mieux. Il faudra peut-être
attendre un peu, c'est tout !"
Enfin,
Maïa aussi retrouva le sourire. Elle se rapprocha de mon oreille pour y glisser
:
"De
toute façon, papa, il est avec des docteurs qui le soignent et avec toi qui
l'aime. Il est obligé de guérir !!"
Je me relevai
en lui ébouriffant la tête :
"C'est
sûr ma petite puce ! Et puis tu viendras le voir pour lui dire que toi aussi tu
l'aimes. Allez, maintenant, file rejoindre Mamie.
-D'accord
!!"
Et elle
fila sur les traces de sa grand-mère.
Et
m'autorisant enfin un peu d'espoir, je m'assis dans la salle d'attente,
attendant que l'infirmière partie aux nouvelles redescende.
Je ne
saurais dire aujourd'hui combien de temps j'ai attendu. Parfois, j'ai
l'impression que c'était des heures, parfois, le temps m'a semblé filer à une
vitesse étourdissante. Sans doute était-ce le ballet incessant des pensées
morbides tournant dans ma tête qui créait cet effet. Car l'infirmière m'avait
rassurée, mais moi, être de chair, de sang et surtout de sentiments, je ne
pouvais empêcher une partie de mon esprit de douter. Et cette partie ne serait
rassurée que quand j'aurais vu Ulym, quand je l'aurais touché, respiré. A ce
moment-là, je pensais encore que mon esprit ne saurait être en paix que lorsque
j'aurais satisfait à la reconnaissance tactile qu'exigeait mon corps.
Enfin,
après ce temps finalement indéterminé, le "ding" de l'ascenseur
retentit. Avec soulagement, je levais les yeux vers cette infirmière qui était
montée aux nouvelles. "Maëva", indiquait son badge. Fébrile, je la laissais
venir à moi.
"Madame
Genallu, votre mari vient de sortir du bloc opératoire et est en réanimation.
Je ne sais pas si vous pourrez le voir ce soir, mais je viens de voir le
médecin qui l'a opéré, vous pouvez aller lui parler, il est au troisième étage.
-Merci,
merci, merci beaucoup, madame. J'y monte tout de suite !"
Maëva
sourit :
"Allez
vite, et demandez le docteur Chambot"
Troisième
étage. Un couloir sombre, gris et froid. Je me dirige vers le premier homme en
blouse blanche que je croise et demande le docteur Chambot.
"C'est
moi, madame, vous devez être la femme de l'homme accidenté ?
-Oui, je
suis Ymaëlle Genallu. Alors, docteur, dites moi ce qu'il a !
-Et bien,
votre mari a finalement eu une certaine chance. Le choc a été violent, mais aucun
organe vital n'a été atteint. Il avait de vilaines plaies qui l'ont fait
beaucoup saigner, mais nous nous en sommes occupés. Il a des contusions sur
tout le corps et une cheville cassée. Mais nous avons réparé tout ça…
-Oh mon
dieu, merci docteur, le coupai-je. Je me suis fait un souci monstrueux, j'ai
cru que le pire était arrivé ! "
A
nouveau, des larmes coulaient sur mon visage, mais c'était des larmes de
soulagement.
"J'aimerais
beaucoup aller le voir, docteur.
-Ecoutez,
ça, je ne préfère pas trop. Il vient juste d'être admis en réanimation, c'est
un service délicat, et la politique de l'hôpital est d'éviter que les familles
y rentrent.
-Ah.
Bon…"
De
petites rides autour des yeux du docteur laissaient deviner un sourire que je
supposais paternel. Il reprit :
"Ne
vous faîtes pas de souci, madame, il est entre de bonnes mains. Rentrez chez
vous, allez vous coucher, et revenez lui demain, fraîche et pleine d'énergie
!"
Et il
tourna les talons. Ce doit être une technique de médecin, ça. Quoi qu'il en
soit, je me sentis subitement vidée de toute mon énergie. Je sentais le poids
des émotions de la soirée retomber brutalement sur mes épaules.
Un peu
dépitée, je rappelais l'ascenseur pour rentrer chez moi.